12/07/2019 5 min

ATMS : publication du premier rapport du comité d’experts scientifiques

Entre 2010 et 2015, des naissances groupées d’enfants porteurs d’une agénésie transverse des membres supérieurs (ATMS) ont été signalées dans trois départements, l’Ain, la Loire Atlantique et le Morbihan. Pour répondre aux interrogations des familles, les ministères chargés de la Santé, de la Transition écologique et de l’Agriculture ont saisi Santé publique France et l’Anses afin de mettre en place une expertise collective sur les causes de ces possibles cas groupés, et notamment sur la question des expositions environnementales. Le premier rapport du comité d'experts scientifiques est rendu public ce jour.

Le dispositif d’expertise collective, mis en place par Santé publique France et l’Anses, a permis de mener les travaux en toute indépendance et transparence et d’impliquer l’ensemble des parties prenantes. Deux comités ont ainsi été constitués : le comité d'experts scientifiques (CES) qui réunit vingt experts de différentes disciplines et le comité d’orientation et de suivi (COS) qui regroupe l’ensemble des parties prenantes concernées par ces cas d’ATMS, incluant des parents d’enfants atteints de cette malformation.

Une expertise collective intégrant les hypothèses citoyennes  

Le comité d’experts s’est attaché, conformément à sa mission, à identifier et analyser les hypothèses sur les causes de ces possibles cas groupés d'Agénésie Transverse des Membres Supérieurs. Ses travaux et recommandations ont pris en compte toutes les données disponibles et toutes les hypothèses sans exclusion. Pour cela, le CES s’est notamment appuyé sur les questions formulées par le COS ainsi que sur les travaux conduits par Santé publique France et l’Anses dans le cadre de leurs champs d’expertise, et sur les données des registres.

Pour tenir compte des contributions et des attentes des citoyens, un système temporaire de signalement a également été mis en place. Au total, 143 signalements de personnes atteintes de malformations et 43 contributions sur des hypothèses de causes possibles ont été analysés et pris en compte dans les travaux d’expertise.

Une nécessité : définir et diagnostiquer précisément les ATMS

En préalable, le CES s'est attaché à préciser la définition des Agénésies Transverses du Membre Supérieur (ATMS). L’ATMS est une anomalie transversale, n’atteignant qu’un membre, et isolée, c’est-à-dire qu’aucun autre tissu ou organe n’est impliqué. Son diagnostic peut être difficile du fait qu’elle peut être confondue avec d’autres anomalies de nature différente et d’origines connues (génétiques ou mécaniques). Il est donc important de s’assurer de l’absence de malformation(s) associée(s), même mineure(s), pouvant orienter vers un autre diagnostic.

Les malformations congénitales, dont les ATMS, restent rares. Elles représentent 3% des naissances dans le monde (les ATMS représentent 1,7 naissance pour 10 000) et leur taux de prévalence est globalement stable.

C’est la survenue de cas groupés dans le temps et dans l’espace, supérieurs au nombre attendu, qui constitue un signal pouvant justifier de mener des investigations complémentaires (dit cluster[1] ou agrégat spatio-temporel en français).

Le CES a jugé nécessaire le réexamen par un groupe d’experts de tous les dossiers médicaux des enfants porteurs d’ATMS signalés en Bretagne et dans l’Ain. Ce réexamen, qui a été fait de manière anonyme et sans rattachement géographique, a permis d’identifier que certains cas signalés n’étaient pas des ATMS. Sur la base de ce réexamen, le CES a validé 3 cas d’ATMS en Bretagne (Guidel) dans une période de 18 mois entre 2011 et 2013, et confirmé la suspicion de cluster pour ces cas. Des investigations complémentaires vont donc être menées dans cette région pour approfondir la recherche d’éventuelles expositions communes.

S’agissant de l’Ain, le CES a confirmé 6 cas d’ATMS entre 2011 et 2015 mais n’a pas conclu, après analyse statistique[2], qu’il s’agissait d’un cluster.

Pour la Loire Atlantique, qui ne dispose pas de registre des malformations, la collecte et l’examen des dossiers est en cours.

Cette analyse a donc montré l’importance, en cas de signal, d’un diagnostic précis de la nature de la malformation congénitale. Ce diagnostic doit être posé par un médecin généticien au sein d’un des Centres de référence maladie rare labellisés pour les anomalies du développement.

Renforcer la surveillance et la prise en charge des familles concernées

Suite à une analyse détaillée du système de surveillance et d’alerte pour les malformations congénitales en France, le CES formule une série de recommandations afin de renforcer la surveillance et de permettre une évaluation rapide en cas d’alerte. Outre la création d’un septième registre et la mise en œuvre d’une meilleure coordination des registres, le CES recommande de s’appuyer sur le Système National des Données de Santé (SNDS) et sur les professionnels de santé, notamment les échographistes et les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, pour mettre en place un dispositif de signalement des suspicions de cas groupés qui couvre l’ensemble du territoire.

Qu’il s’agisse d’ATMS ou d’autres malformations congénitales, le CES fait  également des propositions pour améliorer l’accompagnement et l’écoute des familles concernées. Des actions d’information et de formation des professionnels de santé sont aussi à développer.

 

Recherche d’éventuels facteurs de risque environnementaux : des travaux d’une ampleur inédite

Afin d’identifier des nouveaux facteurs de risques possibles de ces malformations, une revue approfondie de la littérature a été lancée par l’Anses et Santé publique France, qui tient compte notamment des hypothèses citoyennes. Plus de 20 000 articles scientifiques ont été sélectionnés à partir de mots-clés validés par le CES. Une revue des substances chimiques réglementées a également été menée. Les travaux en cours permettront de mieux caractériser et hiérarchiser les éventuels facteurs de risque environnementaux à étudier en priorité. Ils feront l’objet d’un second rapport.

A date, en l’absence d’identification de facteurs de risques d’ATMS et en raison de la rareté de ces malformations, le CES ne recommande pas la réalisation d’une enquête épidémiologique de grande ampleur, qui nécessiterait plusieurs dizaines d’années d’observations. Le CES estime toutefois que les connaissances sur les causes environnementales des anomalies du développement sont actuellement insuffisantes et recommande de renforcer les moyens de recherche sur ce sujet.


[1] Un cluster (agrégat spatio-temporel en anglais), aussi appelé « cas groupé » ou « agrégat », est le regroupement dans le temps et l’espace de cas de maladies, de symptômes ou d’événements de santé au sein d’une population localisée, dénommé « agrégat spatio-temporel ».

[2] La méthode du scan spatio-temporel (Kulldorff, 1998) a été utilisée.