Egoutiers
22/06/2016 5 min

Des effets sanitaires à long terme liés aux conditions de travail dans les égouts

L’Anses publie une expertise sur les expositions et les risques sanitaires spécifiques auxquels sont soumis les égoutiers. Sur la base d’une analyse approfondie de la littérature scientifique mettant en évidence des expositions à de multiples agents chimiques et biologiques, dont des composés cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques présents dans les eaux usées brutes et dans l’atmosphère des égouts, l’Anses conclut à l’existence d’effets sanitaires à long terme liés aux conditions de travail dans les égouts.

Dans son avis et son rapport publiés ce jour, l’Anses émet une série de recommandations en matière de prévention, de mesures de protection et de suivi de la santé et de l’exposition des égoutiers à mettre en œuvre, ainsi que de travaux de recherches complémentaires à conduire. L’Agence pourra être amenée à formuler des recommandations complémentaires lorsque l’ensemble des résultats relatifs à une campagne de mesure d’agents biologiques dans l’air des égouts parisiens, encore en cours, sera disponible.

Au cours de leur activité professionnelle, les égoutiers sont exposés à de nombreux agents chimiques et biologiques présents dans l’air et/ou dans l’eau, par inhalation de gaz, de vapeurs ou d’aérosols, par contact cutanéo-muqueux et par ingestion.

En 2004, l’INRS a publié les résultats d’une étude de mortalité chez les égoutiers parisiens, réalisée à la demande de la Ville de Paris. Elle mettait en évidence une surmortalité, dont une part significative par maladies digestives, cancers et suicides.Ces résultats ont été confortés lors d’une mise à jour de l’étude en 2009, conduisant l’Anses à s’autosaisir afin d’évaluer les risques sanitaires spécifiques de la profession d’égoutier et d’identifier les causes de cette surmortalité.

Des travailleurs exposés à de nombreux composés

L’Anses a entrepris une campagne de mesures individuelles chez les égoutiers de la Ville de Paris, entre octobre 2014 et mars 2015, afin de conforter les trop rares données de la littérature. Ces mesures exploratoires montrent que les égoutiers sont exposés à un cocktail d’agents chimiques et biologiques présents dans l’eau et dans l’air des égouts. De manière générale, les concentrations en polluants dans l’air des égouts sont supérieures aux concentrations mesurées en extérieur, du fait du manque de renouvellement d’air et du confinement, et de la présence de sources de contamination propres aux égouts.

Cette campagne de mesures a notamment permis de mettre en évidence une exposition à des composés cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), et d’identifier des tâches plus exposantes que d’autres, comme le curage de bassin de dessablement, le nettoyage des dégrilleurs haute pression ou le curage avec engin. Dans la majorité des situations, les concentrations mesurées pour chacun des composés identifiés sont toutefois faibles comparativement aux valeurs de référence (valeurs limites d’exposition professionnelle = VLEP ou valeurs toxicologiques de référence =VTR), ce qui ne garantit cependant pas l’absence d’effet sanitaire lié aux co-expositions particulièrement nombreuses, aux synergies éventuelles entre polluants, et à des pics de concentration de certains polluants.

Des effets sanitaires à long terme associés au métier d’égoutier liés à une multiplicité des facteurs de risques

En ce qui concerne les effets sanitaires, les symptômes les plus fréquemment rapportés par les travailleurs exposés aux eaux usées sont des symptômes digestifs, respiratoires, l’irritation du nez, de la gorge et de la peau. Une augmentation de la fréquence de certaines pathologies infectieuses peut également être observée, la majorité d’entre elles étant de durée limitée et très rarement létales.

Les études de mortalité objectivent une surmortalité significative principalement pour les cancers du foie et du poumon, sans qu’il soit possible d’identifier précisément un ou plusieurs facteur(s) de risque responsable(s), notamment des agents chimiques ou biologiques exposant les travailleurs.

Enfin, la dévalorisation du métier d’égoutier, l’affaiblissement des collectifs de travail et la dimension anxiogène du travail en égout sont des facteurs potentiellement associés à une souffrance accrue au travail.

Les recommandations de l’Anses

L’Agence rappelle les principes généraux de prévention du code du travail, notamment la priorité à donner aux mesures de protection collective sur les mesures de protection individuelle.

Au vu des conclusions de son expertise, l’Agence recommande de mieux appréhender les risques chimiques, microbiologiques et psycho-sociaux, afin de prendre les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité et la protection de la santé des égoutiers à long terme.

Elle préconise d’optimiser les mesures visant à réduire l’exposition des travailleurs aux agents microbiologiques et chimiques, et ce en :

  • développant une formation professionnelle obligatoire pour toute personne amenée à travailler dans un réseau d’assainissement souterrain ; 
  • portant une attention particulière aux tâches les plus exposantes (optimisation de la ventilation du réseau d’assainissement, mécanisation de ces tâches, etc.) ;
  • mettant en œuvre les mesures d’hygiène et les consignes de sécurité en lien avec le service de santé au travail ;
  • mettant en place des cartographies de risques liés aux réseaux (identification, centralisation et actualisation des connaissances relatives à des zones d’égouts présentant des conditions particulières).

L’Agence estime nécessaire de renforcer l’auto-surveillance, de contrôler plus régulièrement la conformité des rejets d’eaux usées non domestiques avec les autorisations de déversement, et de favoriser la mise en place de réseaux dont l’hydraulicité permette l’auto-curage.

L’Anses recommande également d’assurer un suivi médical renforcé de la santé des égoutiers, de se conformer aux avis du comité technique des vaccinations du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) en vigueur concernant la vaccination anti-leptospirose et anti-hépatite A et d’assurer la traçabilité des expositions.

En matière de recherche, l’Agence recommande de poursuivre et de mettre en place des études épidémiologiques pour le suivi des effets sanitaires à long terme chez les égoutiers, d’évaluer l’efficacité de mesures de prévention qui peuvent être mises en place, telles que la mécanisation de certaines tâches, des modifications organisationnelles du travail, de poursuivre les mesures d’exposition individuelle aux polluants et d’étudier l’utilité de développer la recherche de biomarqueurs pour améliorer la surveillance des expositions multiples des égoutiers.

Des campagnes de sensibilisation devraient être organisées afin, d’une part, de rappeler à la population générale que le réseau d'assainissement souvent appelé « tout à l'égout » n’est pas destiné à tout recevoir et, d’autre part, de préciser les bonnes pratiques de rejet.

L’Anses souligne par ailleurs que les recommandations émises s’inscrivent dans un contexte global de dérèglement climatique qui risque d’avoir des impacts sur l’assainissement des agglomérations (modification de volume d’eau transitant dans les réseaux, de la température des eaux usées collectées et transportées, etc.). Il convient d’anticiper ces impacts en termes de prévention et de protection des professionnels amenés à travailler dans les réseaux d’assainissement.