Sargasses
14/03/2016 4 min

Échouage d’algues sargasses : des mesures immédiates à mettre en œuvre pour limiter l’exposition des travailleurs et des riverains

Depuis le mois d’août 2014, les Antilles et la Guyane font face à des vagues successives d’échouages d’algues sargasses sur leur littoral. Malgré les moyens de nettoyage mis en œuvre, ces algues se décomposent sur place. Leur décomposition conduit à la production de sulfure d’hydrogène (H2S), potentiellement détecté à des concentrations élevées. Les signalements de médecins liés aux effets sanitaires ressentis par la population exposée à l’H2S, ainsi que les plaintes du public relatives au problème d’odeurs, ont augmenté de façon notable. Dans ce contexte, l’Anses a été saisie par les ministères chargés de la Santé, de l’Environnement et du Travail pour la réalisation d’une expertise relative aux émanations issues d’algues sargasses en décomposition. L’Agence publie ce jour un état des connaissances actualisé sur les effets du sulfure d’hydrogène sur la santé. Dans son avis, elle insiste sur la nécessité de ramasser sans attendre les algues échouées et recommande que des mesures soient mises en œuvre pour protéger les travailleurs chargés du ramassage, du transport et du traitement des algues. La population doit quant à elle être informée que les algues ne doivent pas être manipulées.

Les départements français d’Amérique (les Antilles et la Guyane) font face depuis le mois d’août 2014 à des vagues successives d’échouages d’algues sargasses sur leur littoral. Malgré les moyens de nettoyage qui ont été mis en place progressivement, ces algues se décomposent sur place. Leur décomposition conduit à la production de sulfure d’hydrogène (H2S), gaz toxique et fortement odorant, potentiellement détecté à des concentrations élevées.

Un suivi des plaintes et des affections sanitaires, la mesure des expositions des populations touchées, ainsi que des actions de prévention et d’information ont été mis en place en 2014. La cellule de veille de l’agence régionale de santé (ARS) de Martinique observe une augmentation notable du nombre de consultations médicales liées aux effets sanitaires ressentis par la population exposée de façon chronique à l’H2S. Elle enregistre également des signalements de médecins, ainsi que des plaintes de riverains, de particuliers ou d’établissements recevant du public situés sous le vent des échouages.

Dans ce contexte, les ministères chargés de la santé, de l’environnement et du travail ont saisi l’Anses afin qu’elle réalise une expertise relative aux émanations dans l’air ambiant des algues sargasses en décomposition aux Antilles et en Guyane. L’avis publié ce jour présente les premières conclusions de l’expertise de l’Agence : un état des connaissances sur les effets sanitaires de l’H2S, ainsi que des recommandations à court terme relatives aux mesures de prévention à mettre en œuvre pour protéger les travailleurs chargés des opérations de ramassage, de transport et de traitement des algues.

Pour ce travail, l’Agence s’est en particulier appuyée sur les connaissances acquises lors de travaux antérieurs relatifs aux échouages d’algues vertes, largement transposables.

Conclusions et recommandations de l’Agence

L’exposition des individus à l’H2S a lieu majoritairement par voie respiratoire. Une absorption par les voies orale et cutanée est possible, mais ne contribue que faiblement à l’exposition globale.

Si les effets chez l’Homme liés à une exposition aiguë (ie. durant une courte durée) sont bien connus (effets neurologiques et respiratoires de gravité croissante avec la concentration d’exposition), les effets liés à des expositions à l’H2S sur des durées plus longues sont moins documentés. Les premiers effets observés sont des symptômes irritatifs des voies aériennes supérieures et des yeux. Des effets neurocomportementaux et des symptômes neurologiques (maux de tête, pertes d’équilibre et de mémoire) sont suspectés. Par ailleurs, en l’état actuel des connaissances, au vu du faible nombre d’études disponibles, aucune conclusion ne peut être tirée quant à une potentielle cancérogénicité de l’H2S. A souligner également les fortes nuisances olfactives associées à ce gaz.

Au vu des données actuellement disponibles, l’Agence estime que ses recommandations de prévention, formulées lors d’une expertise antérieure concernant les travailleurs au contact des algues vertes en décomposition sur les côtes bretonnes (lien vers l’avis ou l’article relatif), sont à considérer pour les travailleurs au contact des algues sargasses.

Ainsi, l’Agence recommande :

  • la mise en œuvre, dès à présent, du ramassage régulier et systématique des algues échouées sur le littoral ;
  • que les chantiers de ramassage des algues soient balisés, et l’accès restreint aux opérateurs ;
  • que la population soit informée des risques pour la santé liés à l’exposition à l’H2S, notamment à proximité des plages où des algues sont en décomposition. Par ailleurs, la population doit être informée que les algues ne doivent pas être manipulées.

Lors des opérations de ramassage, de transport et de traitement des algues, l’Anses recommande :

  • que chaque travailleur, y compris dans les cabines des engins mécaniques, soit muni d’un détecteur portatif d’H2S, situé près des voies respiratoires ;
  • que les travailleurs portent des équipements de protection individuelle, notamment des gants, des bottes et des demi-masques filtrants anti-gaz, ou encore une cagoule à ventilation assistée lorsque la concentration en H2S dépasse 10 ppm ;
  • de privilégier un ramassage mécanique, en considérant les contraintes environnementales ;
  • que des formations et une information des travailleurs soient dispensées régulièrement ;
  • la mise en place d’une traçabilité des travaux exposants.

L’Agence indique par ailleurs que la mise en place d’une étude épidémiologique prospective s’intéressant particulièrement aux situations d’exposition de la population au niveau local serait utile et permettrait de renforcer les connaissances sur les effets sur la santé liés aux expositions chroniques à l’H2S à de faibles doses.

Enfin, l’Agence poursuit ses travaux d’expertise sur ce sujet en investiguant l’écologie des algues sargasses, leur chimie, leur biodégradation ainsi que la cinétique des émissions d’H2S et d’autres substances, en particulier lors de la décomposition de ces algues après échouage.

Rappel des recommandations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) formulées dans son avis du 3 septembre 2015

  • Pour des concentrations d’H2S comprises entre 0,2 et 1 ppm sur les plages à proximité des échouages d’algues : information du public
  • Pour des valeurs comprises entre 1 et 5 ppm sur les plages : information du public, accès déconseillé aux personnes sensibles et fragiles

Pour des valeurs supérieures à 5 ppm sur les plages : accès réservé aux professionnels équipés de moyens de mesure de l’H2S individuels avec alarmes