Vue au microscope d'une moisissure se développant sur l'alimentation
31/05/2023
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Moisissures dans les aliments : identifier les toxines mutagènes et cancérigènes

L’utilisation combinée de différents logiciels informatiques pourrait accélérer l’acquisition de connaissances sur les toxines produites par les moisissures se développant dans les aliments, appelées mycotoxines. Cette approche innovante a été utilisée par des scientifiques de l’Anses pour identifier les mycotoxines qui pourraient être mutagènes et/ou cancérigènes.

Les moisissures dans les aliments, notamment ceux d’origine végétale, peuvent produire des toxines, les mycotoxines, dont certaines peuvent favoriser des mutations génétiques ou des cancers chez l’être humain ou les animaux : « Les moisissures peuvent se développer tout le long de la production de l’aliment, depuis sa culture jusqu’au produit fini », explique Denis Habauzit, chargé de projet au sein de l’unité Toxicologie des contaminants, du laboratoire Anses de Fougères. Céréales, fruits ou légumes : de nombreux aliments sont susceptibles d’être contaminés par les mycotoxines.

La réglementation européenne limite strictement la quantité maximale autorisée pour les principales mycotoxines susceptibles d’être présentes dans les aliments mis sur le marché, mais les données manquent pour les autres : « Des travaux de recherche ont montré que les aliments peuvent contenir des mycotoxines pour lesquelles nous n’avons pas ou peu d’information concernant leur toxicité et qui ne sont ni réglementées ni surveillées », indique Valérie Fessard, cheffe de l’unité.

Des outils informatiques pour repérer les molécules les plus toxiques

Afin d’identifier les mycotoxines ayant une activité mutagène ou cancérigène, les scientifiques de l’unité se sont appuyés sur la modélisation informatique. Ils ont utilisé une combinaison de logiciels de type « Quantitative structure-activity relationship » (QSAR), qui permettent de prédire les effets des molécules sur les êtres vivants selon leur structure. Cette méthode a l’avantage de permettre une première caractérisation des mycotoxines, qui sont difficiles à synthétiser et à purifier. Elle évite d’avoir à les tester et particulièrement à avoir recours à l’expérimentation animale. Les résultats sont parus dans la revue Environmental Pollution en avril 2023.

L’équipe a sélectionné les combinaisons de logiciels les plus performantes en les testant sur des mycotoxines dont le potentiel cancérigène ou mutagène est connu. Tous les logiciels sélectionnés étaient gratuits, pour faciliter leur utilisation par d’autres équipes de recherche. Les scientifiques ont ensuite analysé 904 mycotoxines et métabolites de mycotoxines provenant de la base de données créée par l’équipe. Résultats : 127 auraient un potentiel mutagène et 548 pourraient être cancérigènes.

Un premier tri à affiner

 « Les logiciels sont encore en développement, prévient Denis Habauzit, un risque d’erreur est possible. Mais cela permet d’alerter sur certaines molécules et d’identifier celles sur lesquelles il faudrait faire en priorité des études de toxicologie expérimentale. » 95 de ces mycotoxines seraient à la fois mutagènes et cancérigènes. De ce fait, elles pourraient représenter un risque pour la santé même en petite quantité.

En parallèle, les effets potentiels des mycotoxines devront être croisés avec les quantités de ces molécules retrouvées effectivement dans l’alimentation humaine et animale, pour déterminer le risque qu’elles représentent réellement. Ces quantités ne sont actuellement connues que pour certaines mycotoxines, notamment via les  Études de l’alimentation totale (EAT) réalisées par l’Anses, mais nécessitent d’être complétées pour d’autres toxines.  

Cette recherche est la plus vaste menée jusqu’à présent sur les mycotoxines en utilisant des logiciels QSAR. Elle démontre l’intérêt de ces outils informatiques pour faire un premier tri parmi les centaines de mycotoxines, afin d’identifier celles à évaluer en priorité. Ces prédictions sont d’autant plus importantes que le changement climatique et la restriction d’usage des fongicides pourraient favoriser le développement de moisissures et la contamination des aliments par des mycotoxines émergentes.