Un puceron vert du pêcher

Étudier les différences de résistance des pucerons verts aux insecticides

Chez les pucerons de l’espèce Myzus persicae, les gènes de résistance aux insecticides circulent peu entre les populations qui colonisent des espèces végétales différentes. Cette découverte faite par des scientifiques de l’Anses, d’Inrae et de l’université de Montpellier, pourrait amener à repenser les stratégies de lutte contre le développement de résistance à ces pesticides.

Le puceron vert du pêcher (Myzus persicae) est une espèce polyphage : il peut se nourrir de la sève de plus d’une cinquantaine de plantes différentes, dont des plantes cultivées comme le pêcher, le colza, la betterave, le tabac ou la pomme de terre. Il peut être à l’origine de dommages importants qu’il cause principalement par la transmission de virus à ces plantes hôtes. Le puceron est entre autres vecteur du virus de la Sharka, qui touche les pêchers, ou des virus responsables de la jaunisse de la betterave. Le principal moyen de lutte utilisé contre ce ravageur est l’utilisation de produits phytopharmaceutiques de synthèse, mais des résistances à la plupart de ces produits ont évolué chez cet insecte.

Toutefois, les combinaisons des résistances observées au sein des populations de pucerons varient selon les plantes hôtes, ce qui intriguait les scientifiques. Cette interrogation a été à l’origine d’une étude menée par des scientifiques de l’unité sous contrat Caractérisation et suivi des phénomènes d’évolution des résistances aux produits de protection des plantes (Casper), au sein du laboratoire de Lyon de l’Anses, en collaboration avec des scientifiques de l’Institut de génétique, environnement et protection des plantes (IGEPP) d’Inrae, et de l’Université de Montpellier. Elle est parue dans la revue Evolutionary Applications en mai 2022.

Des populations de pucerons génétiquement différentes

Les scientifiques ont analysé la diversité et la structuration génétique de populations de pucerons collectés en France. Des spécimens ont été prélevés sur trois cultures principales : le pêcher, le colza et le tabac. Une nette différenciation génétique entre les pucerons collectés sur les pêchers et ceux vivant sur le colza et le tabac a été montrée. « Même s’il s’agit toujours de la même espèce de puceron, il y a peu de flux de gènes entre les trois sous-groupes correspondant aux trois cultures », indique Benoit Barrès, chef de l’unité Casper et co-auteur de l’étude.

Les combinaisons de résistances sont aussi très différentes entre les groupes génétiques. Les pucerons prélevés sur les pêchers étaient fréquemment résistants aux néonicotinoïdes. À l’inverse, les pucerons échantillonnés sur le colza et le tabac étaient très souvent porteurs de variantes de gènes (ou allèles) conférant des résistances aux pyréthrinoïdes et aux carbamates, mais ils n’étaient pas résistants aux néonicotinoïdes. Les allèles de résistance n’ont donc pas été échangés entre ces groupes génétiques.

Des résistances qui peuvent vite se propager au sein d’une population

Les scientifiques ont également réalisé des analyses génétiques sur des pucerons collectés aléatoirement dans l’air entre 2001 et 2008. Cela a permis de montrer la vitesse importante à laquelle une résistance pouvait émerger dans la population générale des pucerons : deux ans après la commercialisation d’un nouveau produit, qui associait pyréthrinoïde et carbamate, la fréquence des clones de pucerons combinant des allèles conférant la résistance à ces deux substances avait fortement augmenté.

En cause, plusieurs obstacles au brassage des gènes

La faiblesse des échanges génétiques constatée entre sous-groupes de pucerons est surprenante. Elle pourrait venir de leur mode de reproduction : au cours de leur cycle biologique, les pucerons peuvent se reproduire à la fois de façon sexuée, ce qui conduit à un mélange des gènes des deux parents, et par reproduction asexuée, lors de laquelle un individu donne naissance à des descendants qui sont des clones de lui-même. La reproduction sexuée n’a lieu que sur les pêchers, tandis que la reproduction sur les autres végétaux est uniquement asexuée.

Alors que les scientifiques pensaient que les pucerons devaient régulièrement retourner sur les pêchers pour se reproduire, il semblerait que ce ne soit pas forcément le cas. « Nous avons observé la survie de clones par multiplication asexuée durant les sept ans qu’ont duré les prélèvements. Cela explique pourquoi le brassage génétique entre les groupes n’a pas lieu », indique Benoit Barrès.

De plus, les groupes de pucerons vivant sur le colza ou le tabac pourraient être mieux adaptés à ces plantes hôtes que leurs congénères vivant habituellement sur les pêchers, ce qui pourrait constituer un obstacle supplémentaire aux échanges génétiques entre les groupes identifiés.

Adapter les stratégies de lutte selon la plante hôte

Même si les données qui ont servi à l’étude datent de quelques années, elles mettent en évidence l’importance de prendre en compte le paysage agronomique, et en particulier l’espèce de la plante hôte, dans la gestion des phénomènes de résistances aux produits phytopharmaceutiques et plus généralement dans les stratégies de lutte efficaces contre les insectes polyphages.

« Lorsque nous avons rendu notre avis sur les traitements disponibles pour lutter contre les pucerons des betteraves en alternative aux néonicotinoïdes qui sont désormais interdits, nous savions que l’utilisation des pyréthrinoïdes et des carbamates était inutile. En effet, les pucerons qui se nourrissent sur les betteraves possèdent de nombreux gènes de résistance contre ces insecticides. Désormais, nous surveillons de près l’évolution de résistance vis-à-vis des insecticides encore autorisés et utilisés dans les champs de betteraves. », conclut Benoit Barrès.