Néonicotinoïdes

Risques et bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes et de leurs alternatives

Dans le cadre de l’application de la loi « Pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », l’Anses a engagé en 2016, à la demande des Ministères en charge de l’agriculture, de la santé et de l’écologie, une évaluation mettant en balance les risques et les bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes et de leurs alternatives chimiques et non chimiques. L’Agence publie ce jour son avis final. Pour une majorité des usages des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes, des alternatives (chimiques et non chimiques) suffisamment efficaces, et opérationnelles ont pu être identifiées. En revanche, il n’a pas été possible d’identifier des substances ou familles de substances chimiques qui présenteraient de façon globale un profil de risque moins défavorable que les néonicotinoïdes. Enfin, l’Agence souligne que l’impact sur l’activité agricole de l’interdiction des néonicotinoïdes est difficile à anticiper et recommande d’accélérer la mise à disposition de méthodes alternatives, efficaces et respectueuses de l’Homme et de l’environnement, pour la protection et la conduite des cultures.

La loi « Pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » du 8 août 2016 (article 125) prévoit l’interdiction des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes, ainsi que des semences traitées avec ces produits, à compter du 1er septembre 2018. La loi prévoit également que des dérogations pourront être accordées jusqu’au 1er juillet 2020 sur la base d’une comparaison établie par l’Anses sur les bénéfices et les risques liés aux usages de ces produits avec ceux de produits de substitution ou de méthodes alternatives. Par ailleurs, un règlement européen, adopté par les États membres le 27 avril 2018, restreignant les usages de 3 substances actives néonicotinoïdes (Thiamétoxame, Imidaclopride, Clothianidine) aux seuls usages sous serre va être promulgué, et s’appliquera également aux autorisations de mise sur le marché français des produits phytopharmaceutiques à base de ces substances.

Dans ce contexte, l’Anses a été saisie afin de réaliser une évaluation mettant en balance les risques et les bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes et de leurs alternatives chimiques et non chimiques. L’Agence a tout d’abord élaboré une méthodologie d’identification des alternatives, publiée en mars 2017, qui permet de comparer les méthodes de lutte alternatives – chimiques et non chimiques- pour chacun des usages des néonicotinoïdes, sur la base de quatre critères : l’efficacité, l’opérationnalité, la durabilité et la praticité de chaque méthode considérée.

La démarche adoptée a permis d’identifier et d’évaluer des méthodes de lutte susceptibles de représenter une alternative à l’utilisation des néonicotinoïdes (chimique ou agronomique) opérationnelles dès à présent. A la suite de l’identification de ces alternatives, des indicateurs de risque pour l’Homme et l’environnement, y compris pour les pollinisateurs, ont été établis pour les alternatives chimiques. Enfin, un troisième volet a porté sur l’impact de l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes et de la mise en œuvre des alternatives sur l’activité agricole.

Identification des alternatives aux usages autorisés des néonicotinoïdes

130 usages autorisés des néonicotinoïdes ont été étudiés.

Pour une majorité des usages, des alternatives (chimiques et non chimiques), suffisamment efficaces et opérationnelles, ont pu être identifiées.

Dans 6 cas, aucune alternative, qu’elle soit chimique ou non chimique, répondant à ces critères, n’a été identifiée. Dans 89% des cas, les solutions de remplacement aux néonicotinoïdes se fondent sur l’emploi d’autres substances actives, notamment des pyréthrinoïdes. Dans 39% des cas, les alternatives chimiques reposent sur une même famille de substances actives, ou une seule substance active voire sur un seul produit commercialisé. Et dans 78% des cas analysés, au moins une solution alternative non chimique existe. En l’état actuel des connaissances, les méthodes non chimiques apparaissant comme les plus aptes à remplacer immédiatement, efficacement et durablement les néonicotinoïdes sont la lutte biologique, la lutte physique par application d’une couche protectrice (huile de paraffine, argile…), et la lutte par confusion sexuelle, lorsque ces méthodes sont d’ores et déjà disponibles en France ou aisément transférables.

Au cas par cas, d’autres méthodes alternatives non chimiques sont substituables aux néonicotinoïdes, avec néanmoins une efficacité propre moindre, comme par exemple les méthodes culturales.

Indicateurs de risques pour la santé humaine et l’environnement liés aux usages des néonicotinoïdes et de leurs alternatives chimiques

Pour chaque usage autorisé des néonicotinoïdes, ont été calculés pour les substances actives chimiques contenues dans des préparations bénéficiant d’une AMM sur ces usages, deux indicateurs de risque pour la santé humaine (risque lié à une exposition alimentaire et risque lié à une exposition non alimentaire) et six indicateurs de risque pour l’environnement (risque pour les oiseaux, les mammifères, les vers de terre, les organismes aquatiques, les abeilles et les eaux souterraines).

En fonction de l’usage et du risque considéré (alimentaire, non alimentaire, abeilles, organismes aquatiques, etc...), la comparaison des indicateurs de risque associés aux néonicotinoïdes par rapport à ceux associés à leurs alternatives chimiques peut conduire à des résultats différents. Il n’est donc pas possible de conclure de façon globale et synthétique quant aux substances actives qui présenteraient le profil de risques le moins défavorable par rapport à celui des néonicotinoïdes.

lmpact de l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes et de la mise en œuvre des alternatives sur l’activité agricole

La conduite d’une évaluation de l’impact agricole de l’interdiction des néonicotinoïdes, outre le fait qu’elle n’en aborde pas les conséquences environnementales, sanitaires et sociales pour lesquelles le consensus scientifique n’est pas établi, soulève un certain nombre de difficultés qui n’ont pu être résolues, en particulier des questions d’ordre méthodologique et des questions concernant la disponibilité et la fiabilité des données.

En particulier, l’impact sur l’activitéagricole de l’interdiction des néonicotinoïdes est difficile à anticiper, du fait notamment de la diversité des usages des néonicotinoïdes, et du caractère en partie « assurantiel » de leur usage important en traitement de semences. L’Agence propose toutefois une liste indicative de critères d’évaluation d’impact sur l’activité des filières, qui est susceptible d’éclairer les décisions et constitue une approche qui pourrait être prise en compte, après pondération selon les objectifs recherchés.

Les perspectives issues des pratiques alternatives restent donc à conforter et des méthodes d’analyse économique consacrées aux capacités de transformation et d’adaptation des systèmes agricoles sont à développer.

Conclusions et recommandations de l’Anses

Il convient de rappeler qu’en ce qui concerne la lutte contre les ravageurs, aucune méthode n’assure à elle seule une efficacité suffisante mais qu’une combinaison de méthodes doit être envisagée dans le cadre d’une approche de lutte intégrée. Il s’agit de remplacer les applications prophylactiques (catégorie dans laquelle entrent les traitements de semences) par une observation très régulière des bioagresseurs dans les parcelles (épidémiosurveillance), la mise en œuvre en premier lieu de l’ensemble des méthodes de lutte non chimiques (combinaison de méthodes à effets partiels) et enfin, si nécessaire, l’application d’un insecticide (le moins toxique possibleet au spectre d’efficacité le plus étroit possible) à partir d’observations de ravageurs au-delà de seuils de nuisibilité (c’est-à-dire pouvant causer des impacts économiques, ou sur la santé).

Pour la plupart des usages étudiés, il convient également de souligner que l’interdiction d’utilisation des substances appartenant à la famille des néonicotinoïdes risque d’entraîner une résistance accrue aux autres insecticides, en particulier pyréthrinoïdes, s’ils sont utilisés en alternatives.

L’exploration de la littérature consacrée aux systèmes de production n’ayant pas recours aux néonicotinoïdes ouvre des perspectives en matière de recherche, de partage de référentiels et d’accompagnement technique. Si des méthodes non chimiques pour le contrôle des insectes ravageurs sont ou ont été à l’étude dans les instituts de recherche ou les instituts techniques du monde entier, leur potentielle efficacité et leurs modalités d’application pratique ne permettent pas encore de les rendre immédiatement opérationnelles. Ainsi, les méthodes de lutte culturale, très diverses, et qui sont en plein essor dans le cadre de l’agroécologie, requièrent encore, pour permettre un contrôle efficace, d’être combinées, ce qui nécessite une reconception plus ou moins profonde des systèmes de cultures (diversification, usage de plantes de services et mise en place de stratégies couplant ce qui se passe à la parcelle, dans ses abords, et à des échelles territoriales fines),

De même, le recours aux médiateurs chimiques, notamment produits par les plantes (ex. répulsifs) parait très prometteur. Le recours aux auxiliaires des cultures (parasitoïdes ou prédateurs) représente également une source de solutions dans plus de 20% des usages étudiés, particulièrement pour les cultures sous abri. D’autres font l’objet de recherche et conviendraient d’être rapidement développées.

L’Anses recommande donc d’accélérer la mise à disposition de méthodes alternatives, efficaces et respectueuses de l’Homme et de l’environnement, pour la protection et la conduite des cultures.