Les cahiers de la recherche
Notre dernier numéro : Cahier de la recherche n°15 : "La lutte antivectorielle - Comprendre où en est la recherche" (pdf)
Depuis 2003, des épidémies d’arboviroses (dengue, chikungunya...) ont touché, de manière récurrente, les populations des Antilles françaises et des îles de l’Océan Indien, suivies par des flambées de maladie à virus Zika en Polynésie française, Guyane, Martinique... Transmises principalement par des moustiques (du genre Aedes), ces maladies sévissent avant tout dans les zonestropicales et subtropicales. Considérées comme « ré-émergentes », elles apparaissent de manière sporadique et se propagent vers de nouvelles zones géographiques, dont l’Europe. Aussi, l’Anses accorde une attention particulière à leur surveillance.
Parmi les maladies d’origine vectorielle, figurent également la schistosomiase ou bilharziose1(« dermatite des nageurs ») dont le parasite responsable est transmis par un bulin, la maladie de Lyme(ou borréliose) dont la bactérie est transmise par une tique, la leishmaniose dont la bactérie est transmise par un phlébotome... Pour compléter les mesures de surveillance renforcée sur le terrain, une étude récente propose de développer un nouvel outil pour inférer le risque de propagation des maladies infectieuses selon la technique dite de « recherche d’un ADN environnemental ».
Concernant les arboviroses, la meilleure façon de se protéger est de lutter contre la prolifération des moustiques et d’éviter leurs piqûres. Pour cela, les stratégies de lutte anti-vectorielle intégrée combinent différentes actions : mobilisation sociale, élimination des gîtes larvaires, mesures de protection individuelle et collective, utilisation d’insecticides chimiques et biologiques, technique dite de « l’insecte stérile » (TIS), ... Cependant, l’utilisation d’insecticides reste à ce jour indispensable en cas de circulation virale.
Or, en France, une seule molécule adulticide peut être utilisée en stricte conformité avec le règlement européen sur les produits biocides2 (RPB) : la deltaméthrine (pyréthrinoïde de synthèse). Toutefois, en raison de l’emploi intensif des pyréthrinoïdes en agriculture et médecine vétérinaire, et dans certaines zones pour de la lutte anti-vectorielle, des cas derésistances à la deltaméthrine (et plus généralement aux pyréthrinoïdes) ont été observés dans les Outre-mer et en Métropole, qui se traduisent par une perte de son efficacité.
Cette résistance des moustiques est emblématique des enjeux auxquels l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) doit faire face pour évaluer d’une part, l’efficacité et les risques liés à l’utilisation des produits biocides, délivrer les autorisations de mises sur le marché et préparer d’autre part, les futures stratégies de lutte anti-vectorielle. De plus, face aux flambées épidémiques et devant le besoin rapide (urgent) de disposer de substances actives oude produits de lutte anti-vectorielle, il arrive que l’Anses soit saisie pour délivrer des autorisations d’usage dérogatoire.
Dans ce contexte, on mesure l’importance de disposer de données sur l’écologie des vecteurs et les mécanismes de résistances, afin de proposer des approches innovantes de lutte anti-vectorielle. Des travaux financés par le Programme National de Recherche Environnement Santé Travail (PNR EST) ont permis ainsi de comprendre l’attraction exercée par les vertébrés sur les moustiques, ainsi que les différents facteurs (alimentation, climat, environnement, odorat, reproduction...) qui conditionnent leur comportement.
Pour être raisonnée et durable, la lutte contre les vecteurs ne se limite pas à l’utilisation de produits biocides. Elle doit être intégrée et s’appuyer sur l’utilisation alternée de substances actives avec des modes d’action différents. Cinq projets de recherche présentés dans ce nouveau numéro des Cahiers de la Recherche s’inscrivent d’ailleurs dans cette perspective, privilégiant des candidats biologiques et/ou l’association densovirus/insecticide.
Enfin, l’Anses a mis en place un groupe de travail pérenne chargé de réaliser des expertises sur les vecteurs et notamment de fournir aux acteurs concernés, des indicateurs et outils pour optimiser leursactions sur le terrain : savoir quelle solution privilégier, quelle combinaison d’actions est la plus performante au regard du contexte épidémiologique et des conditions locales, quelle technique est acceptable. Il en va de notre capacité à lutter contre les agents pathogènes responsables de maladies infectieuses d’origine vectorielle et à faire face aux enjeux de demain liés à la prise en compte du concept « One health » : « Une seule santé ».
Roger Genet - Directeur général de l’Anses