Sécurité sanitaire des aliments : comment la science protège la santé des consommateurs

Sécurité sanitaire des aliments : comment la science protège la santé des consommateurs

De la production des aliments jusqu’à leur consommation, l’Anses apporte son expertise scientifique pour garantir une alimentation aussi sûre que possible. Développement de méthodes d’analyse, études sur la sécurité sanitaire des nouveaux aliments, surveillance des intoxications alimentaires… À l'occasion de la Journée mondiale de la sécurité sanitaire des aliments, découvrez sept actions concrètes de nos scientifiques pour préserver la santé des consommateurs.

Des animaux à l’humain : traquer Yersinia enterocolitica

Martine Denis

« Mon expertise sur Yersinia enterocolitica, le 3ème agent zoonotique responsable de toxi-infections alimentaires, me permet d’être réactive lors des investigations et de la surveillance »

Martine DENIS, directrice de projets de recherche dans l’unité Hygiène et qualité des produits avicoles et porcins

Depuis 2007, nous avons développé avec mon unité des outils pour détecter et caractériser la bactérie Yersinia enterocolitica en filière porcine. Ce pathogène, responsable de gastro-entérites, est la 3ème cause bactérienne d’intoxications alimentaires en Europe, après Campylobacter et Salmonella. Le porc est l’animal le plus fréquemment porteur de cette bactérie. Nous avons mené il y a quelques années avec mon équipe une étude sur la contamination de la viande et des morceaux de porcs par Yersinia enterocolitica.

En 2024, notre unité a été mobilisée pour enquêter sur des cas d’infection à Yersinia enterocolitica liés à la consommation de fromage au lait cru. Nous avons analysé des prélèvements réalisés par les entreprises fromagères sur les fromages et les surfaces, ainsi que ceux réalisés par les directions départementales de la protection des populations dans les élevages. L’Anses et le Centre national de référence « Peste et autres yersinioses » ont ensuite procédé au séquençage des souches de Yersinia enterocolitica isolées des fromages et des infections humaines, ce qui a permis de confirmer que les fromages étaient à l’origine des infections.

Nouveaux aliments, nouveaux risques ?

Yacine Nia

« Je coordonne un projet pour évaluer les risques de toxi-infections dues aux staphylocoques dans les nouveaux aliments à base de végétaux »

Yacine Nia, chef adjoint de l’unité Staphylococcus, Bacillus, Clostridium dans le laboratoire de sécurité sanitaire des aliments

Avec l’essor des alternatives végétales à la viande et aux produits laitiers, il est essentiel d’identifier les risques sanitaires associés. Cependant, ceux-ci sont encore mal connus.

Ainsi les risques de toxi-infection alimentaire collective (TIAC) liés au staphylocoque doré (Staphylococcus aureus), qui est producteur de toxines, sont difficilement évaluables dans les produits à base de végétaux.

Ceci s’explique par deux raisons majeures. La première est que les conditions de croissance et de production de toxines de Staphylococcus aureus dans les aliments à base de végétaux, avec ou sans microorganismes compétiteurs ne sont pas documentées. La seconde est qu’il n’existe pas de méthode validée pour détecter les entérotoxines produites par les staphylocoques dans ces nouveaux produits végétaux, qu’il s’agisse d’entérotoxines bien connues ou nouvellement décrites.

Le projet SaToRix que je coordonne et qui est financé par l’Agence nationale de la recherche, a pour objectif d’évaluer les risques dus aux staphylocoques et leurs toxines dans ces nouveaux aliments. Nous projetons d’étudier les capacités toxinogéniques de Staphylococcus aureus et de développer des méthodes d’analyse adaptées. Les résultats de l’ANR SaToRix permettront de mieux évaluer un des risques sanitaires associés à ces nouvelles gammes d’aliments, d'apporter de nouveaux outils pour identifier des entérotoxines encore mal documentées et de renforcer la sécurité de ces nouveaux produits.

Connaître l’origine des virus dans les aliments

Sandra MARTIN-LATIL

« Mon métier, à la croisée entre recherche, expertise et surveillance, me permet de contribuer activement à la lutte contre les émergences virales liées à l’alimentation. »

Sandra MARTIN-LATIL, directrice de projets de recherche dans l’unité Virologie du laboratoire de santé animale

Pour mieux appréhender le risque viral, nous développons des méthodes afin d’identifier les agents viraux et étudier leur persistance dans l’eau, les aliments ou chez les animaux. Celles-ci permettent également de valider l’efficacité de procédés technologiques utilisés dans l’industrie agroalimentaire pour éliminer les virus dans les aliments.

Avec mes collègues, nous réalisons des travaux de recherche pour estimer la prévalence des virus, étudier leur pouvoir pathogène et leurs voies de dissémination. Mes travaux se sont intéressés aux agents viraux d’intérêt majeur en sécurité alimentaire, comme le norovirus et le virus de l’hépatite A. Depuis 2023, mes recherches se sont orientées vers les agents viraux émergents zoonotiques, comme le virus de l’hépatite E, le SARS-CoV-2, et plus récemment le virus de l’encéphalite à tique (TBEV). Ce dernier, bien que transmis principalement par piqûre de tiques, le TBEV présente un risque émergent en virologie alimentaire, puisqu’il peut se transmettre par la consommation de produits au lait cru. Mes recherches sont essentielles pour comprendre l’origine des transmissions et mieux les prévenir.

Détecter les aliments contenant des substances illicites

Sandra Sinno Tellier

« C’est enthousiasmant de se dire que la surveillance des intoxications permet d’agir concrètement pour protéger la population. »

Sandra SINNO TELLIER, adjointe à la directrice des alertes et des vigilances sanitaires et coordinatrice de la toxicovigilance

Mon travail consiste à surveiller des intoxications, dont certaines concernent des denrées alimentaires « adultérées » par des substances pharmaceutiques qui ont été ajoutées illégalement. De nombreuses intoxications, parfois graves, nous sont signalées par les Centres antipoisons. Certains produits, présentés comme "naturels", contiennent en réalité des substances médicamenteuses. Par exemple, certains miels aphrodisiaques, achetés dans des boutiques ou sur internet, contiennent en réalité du sildénafil, principe actif réservé aux médicaments prescrits sur ordonnance en cas de troubles de l’érection. Dans d’autres cas, des tisanes amincissantes contiennent de la sibutramine, anciennement prescrite pour perdre du poids et désormais interdite.

Nous avons alerté la Direction générale de l’alimentation, les douanes et l’Agence nationale de sécurité du médicament, qui ont ainsi pu informer les consommateurs sur ces denrées alimentaires à risque de troubles cardiaques ou vasculaires graves, les retirer du marché voire démanteler des trafics organisés.

La vigilance reste de mise face à l’émergence de nouveaux produits illicites.

De nouvelles méthodes pour mesurer la qualité de l’eau

Thierry CHESNOT

« J’étudie les bactériophages pour évaluer la qualité microbiologique des eaux »

Thierry CHESNOT, chef adjoint de l’unité Microbiologie des eaux du laboratoire d’Hydrologie de Nancy

Jusqu’à il y a peu, l’évaluation de la qualité microbiologique des eaux s’appuyait principalement sur le dénombrement de bactéries indicatrices (Escherichia coli et Entérocoques intestinaux en particulier). Désormais, l’ajout du suivi des bactériophages dans les stratégies de surveillance en tant qu’indicateur de contamination virale constitue une véritable avancée.

Les bactériophages sont des virus qui infectent les bactéries. Le comportement de certains est proche des virus responsables de la majorité des gastroentérites virales retrouvés dans les eaux. Leur quantification par les laboratoires d’analyse permet d’évaluer le risque de survie de virus pathogènes après les traitements de potabilisation des eaux ou ceux appliqués aux eaux usées avant qu’elles soient par exemple utilisées pour l’irrigation de cultures. Notre équipe évalue les différentes méthodes analytiques utilisées pour dénombrer les bactériophages dans l’eau.

Une autre raison pour laquelle nous étudions ces phages est que leur présence dans les eaux souterraines est considérée comme un bon indicateur de la vulnérabilité de ces eaux à des contaminations d’origine fécale, qui pourraient s’infiltrer depuis la surface. Des analyses plus précises, jusqu’au niveau du génome, peuvent contribuer à identifier si ces contaminations sont plutôt d’origine humaine ou animale. Les bactériophages apparaissent ainsi comme un indicateur très polyvalent.

Vers une alimentation plus durable

Petru JITARU

« Une alimentation plus durable et sans risque est possible, nous y contribuons un ingrédient à la fois. »

Petru JITARU, chef de l’unité Éléments traces et nanomatériaux au sein du laboratoire de la sécurité des aliments de l’Anses

Chaque jour, dans l’industrie agroalimentaire, des tonnes de résidus, appelés coproduits, comme les épluchures de pommes de terre, les peaux et arêtes de poissons ou les résidus d’oléagineux ont jetés, alors qu’ils pourraient encore nous nourrir. Le projet Up4Food (Valoriser les flux secondaires pour des ingrédients durables et sains et de nouveaux concepts alimentaires), auquel notre unité participe, vise à donner une seconde vie à ces ressources oubliées, pour créer de nouveaux aliments bons pour notre santé… et pour la planète !

Ce projet rassemble des chercheurs de cinq pays (France, Norvège, Irlande, Pologne et Roumanie), qui travaillent main dans la main avec les acteurs de la chaîne alimentaire et les citoyens. L’objectif est de

  • Créer de nouveaux produits à partir de ces « flux secondaires » ;
  • Développer des outils simples pour les valoriser ;
  • Évaluer leurs impacts sur la santé, l’environnement et la société.

Notre unité y joue un rôle clé : vérifier la qualité et la sécurité de ces matières premières alternatives, ainsi que des ingrédients qui en sont issus.         
Pour cela, nous mobilisons des technologies de pointe, comme la spectrométrie de masse (ICP-MS) – pour analyser avec une extrême précision les éléments traces toxiques tels le plomb, le cadmium, le mercure, l’aluminium ou l’arsenic, qui sont particulièrement nocifs pour la santé.

Nitrates, nitrites : quelle exposition ?

Nawel BEMRAH, Géraldine Carne et Laurent Guillier

« Nous avons évalué l’exposition de la population
aux nitrates et aux nitrites présents dans l’alimentation »

Géraldine CARNE, Nawel BEMRAH et Laurent GUILLIER, scientifiques au sein de l’unité d’évaluation des risques liés aux aliments

En 2022 nous avons mené une importante expertise sur les nitrates et les nitrites dans les aliments, qui suscitent une préoccupation sociétale importante. Il en ressort que les deux tiers de l’exposition de la population aux nitrates proviennent des légumes, un quart de l’eau de boisson, et moins de 4 % des additifs dans la charcuterie. Pour les nitrites, la charcuterie reste la principale source d’exposition.

L’analyse de la littérature scientifique a permis de confirmer un lien entre l’exposition aux nitrates/nitrites et le risque de cancer colorectal, notamment via la viande transformée ou l’eau. Des associations avec d’autres cancers sont suspectées, sans preuve formelle à ce jour.

Si 99 % de la population française reste sous les seuils toxicologiques, nous avons recommandé de limiter l’usage des nitrites et des nitrates dans l’alimentation, selon le principe « aussi bas que raisonnablement possible ». L’ajout de ces composés dans la charcuterie vise notamment à limiter le développement des bactéries. Nous avons identifié des leviers concrets, à adapter selon les produits, permettant de réduire leur utilisation. Nous avons également signalé que les extraits végétaux, présentés comme une alternative, apportent eux aussi des nitrates convertis en nitrites.

Nous avons souligné l’importance de meilleures pratiques agricoles pour réduire la présence des nitrates et nitrites dans l’eau. Il était aussi important de rappeler aux consommateurs de limiter leur consommation de charcuterie à 150 g par semaine et de diversifier leur consommation de légumes.