Pour assurer la santé des abeilles, les apiculteurs renouvellent régulièrement la cire des cadres qui composent la ruche. Ils s’approvisionnent en feuilles de cire gaufrée, qui, insérées sur des cadres, servent de fondation aux abeilles pour former leurs alvéoles. Pour des raisons économiques, ces feuilles sont généralement produites à partir de cire recyclée : les cires sont fondues puis réutilisées. Ce recyclage peut entraîner l’accumulation progressive de contaminants chimiques susceptibles d’être nocifs pour les abeilles.
L’Anses a mené une expertise pour faire l’état des lieux des contaminants chimiques présents dans les cires utilisées en apiculture en France hexagonale, ainsi que des substances adultérantes, c’est-à-dire présentes alors qu’elles n’entrent pas dans la composition de la cire d’abeilles naturelle. L’expertise s’est fondée sur les données disponibles dans la littérature scientifique et sur des enquêtes de terrain conduites en France hexagonale auprès des ciriers, des apiculteurs professionnels et des fournisseurs de cires des apiculteurs de loisir.
Certains contaminants chimiques détectés sont toxiques pour les abeilles
L’examen des données des enquêtes de terrain françaises révèlent la présence de nombreux contaminants chimiques dans les cires vendues en France. Il s’agit de résidus de biocides, produits phytopharmaceutiques, médicaments vétérinaires et éléments traces métalliques, qui sont d’origine environnementale ou apicole (lutte contre l’acarien parasite Varroa destructor). Lorsque les médicaments vétérinaires contre le Varroa sont appliqués en respectant les consignes d’utilisation, notamment la dose et la fréquence, ils représentent une part mineure du risque toxicologique global lié aux contaminants des cires.
Parmi les substances les plus préoccupantes accumulées dans les cires, les pyréthrinoïdes sont retrouvés dans plus de 40 % des échantillons des cires gaufrées commercialisées. Le calcul d’un quotient de risque chimique pour l’ensemble des échantillons analysés démontre qu’il s’agit des substances qui représentent le plus de risque pour les abeilles. Ce quotient tient compte des teneurs de l’ensemble des substances présentes dans l’échantillon et de leur toxicité intrinsèque pour les abeilles.
Le pipéronyl butoxide, détecté dans plus de 50 % de ces échantillons, augmente l’action insecticide des pyréthrinoïdes. Cette association menace donc d’autant plus la santé des abeilles. Par ailleurs, des substances interdites en France depuis plusieurs années, notamment des acaricides, ont également été retrouvées, les cires commercialisées pouvant provenir de partout dans le monde.
L’origine de la cire détermine son niveau de contamination et le risque pour la santé des abeilles
L’expertise relève également que le niveau de contamination chimique des cires varie selon leur origine. Ainsi, les feuilles de cires qui présentent le risque le plus faible sont celles qui proviennent de cire directement produite par les abeilles et réutilisée par les apiculteurs (autorenouvellement). Refondre et réutiliser sa propre cire n’est cependant possible qu’à condition d’avoir un nombre suffisant de ruches ou de faire partie d’un groupement d’apiculteurs. Les apiculteurs qui y ont recours sont donc majoritairement des professionnels.
Les cires vendues dans le commerce contiennent un nombre variable de contaminants. La composition des feuilles de cires à destination apicole n’est à l’heure actuelle pas encadrée par la règlementation. Les cires qui sont vendues par les ciriers présentent un risque inférieur à celles des commerces plus généralistes. De même, les cires originaires de France présentent statistiquement moins de risques toxicologiques pour les abeilles que celles provenant d’autres pays de l’Union européenne et hors Union européenne.
Les cires nouvellement secrétées par les abeilles et qui n’ont donc jamais été recyclées, comme la cire d’opercules servant à fermer les alvéoles de miel, sont celles qui présentent le moins de risque pour la santé des abeilles et de la colonie.
Des traces d’adultération de la cire
Par ailleurs, les analyses ont montré que 70 % des échantillons de cires contiennent de la paraffine en petite quantité (moins de 1 % du produit). La paraffine est parfois mélangée frauduleusement à la cire d’abeilles pour en réduire le coût. Cependant, les faibles quantités mesurées dans cet état des lieux suggèrent qu’il s’agit plutôt de résidus provenant de recyclages successifs que d’un ajout volontaire. La toxicité de la paraffine pour les abeilles n’est pas connue, mais sa présence en forte proportion dans la cire peut engendrer une fonte de la feuille de cire nouvellement introduite dans la ruche et l’impossibilité pour les abeilles de l’utiliser. L’acide stéarique, une autre substance adultérante, a été détecté dans moins de 4 % des échantillons. Il est toutefois très toxique pour le couvain.
Des recommandations pour diminuer la contamination des cires
Les substances accumulées dans la cire contribuent, avec d’autres facteurs, à l’augmentation de la mortalité des abeilles observée ces dernières années. L’Anses formule des recommandations à l’attention des différents acteurs de la filière apicole pour améliorer la qualité des cires utilisées et préserver la santé des abeilles :
Pour les apiculteurs :
- recycler si possible sa propre cire d’opercules, en se regroupant si nécessaire avec d’autres apiculteurs,
- se fournir en cire de la meilleure qualité possible (cires d’opercules françaises),
- favoriser les pratiques permettant de récupérer de la cire récemment sécrétée par les abeilles,
- utiliser les médicaments les moins susceptibles de s’accumuler dans la cire (hydrophiles),
- respecter les bonnes pratiques apicoles prescrites par l’ Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation (ITSAP) pour le renouvellement des cadres de ruche et les traitements médicamenteux.
Pour les ciriers :
- indiquer la provenance géographique de la cire et sa composition relative lorsqu’il s'agit d'un mélange de plusieurs types de cires,
- établir un guide de bonnes pratiques pour le contrôle de la composition des cires,
- assurer la traçabilité de la cire, de sa production jusqu’au façonnage des feuilles.
Pour les autorités :
- définir règlementairement la cire d’abeilles destinée à l’apiculture, afin d’en encadrer les usages,
- établir un seuil toxicologique au-delà duquel une cire ne peut plus être utilisée pour l’apiculture. En l’état actuel des connaissances, l’Anses recommande de prendre comme seuil un quotient de risque inférieur à 5 000. Ce quotient est calculé par l’outil Bee Tox wax développé par l’Université de Liège et tient compte des teneurs de l’ensemble des substances présentes dans l’échantillon de cire et de leur toxicité intrinsèque pour les abeilles,
- rendre obligatoire l’agrémentation des ciriers,
- exiger la traçabilité des cires vendues.
L’Anses recommande également de mener des recherches sur la composition exacte de la cire d’abeilles naturelle, afin d’établir des références officielles permettant d’identifier les cires adultérées.