05/05/2011 7 min

Phtalates, parabènes, alkylphénols : quatre questions à Marc Mortureux

L'évaluation des risques des perturbateurs endocriniens - substances chimiques comprenant notamment les phtalates, parabènes et alkylphénols - constitue une des grandes priorités du programme de travail de l'Anses. Marc Mortureux, directeur général de l'Anses, revient sur ce sujet d'actualité parlementaire et fait un point sur l'état des travaux en cours.

1/ Phtalates, parabènes, alkylphénols, de quoi s'agit-il ?

Les phtalates sont des plastifiants notamment utilisés pour la fabrication du PVC (polychlorure de vinyle) auquel ils confèrent la flexibilité voulue (rigide, semi-rigide ou souple) et facilitent sa mise en forme. Ils peuvent également être utilisés pour la fabrication de nombreux produits (peintures, vernis, colles, mastic, laques, encres, produits ménagers, produits phytosanitaires, …) et sont utilisés par les industries du caoutchouc, de la photographie, des papiers et cartons, du bois, des matériaux de construction et dans l'industrie automobile. Ils sont donc retrouvés dans des centaines d'articles ou produits de consommation courante tels les adhésifs, les revêtements de sol en vinyle, les huiles lubrifiantes, les condensateurs électriques, les détergents, les câbles électriques et les produits cosmétiques (parfums, déodorants, lotions après rasage, shampooings, aérosols pour cheveux, vernis à ongles, …).

Les parabènes sont des substances présentant des propriétés antibactériennes et antifongiques, ils sont très largement utilisés comme conservateurs dans les cosmétiques (shampooings, crèmes hydratantes, mousses à raser…), les médicaments et les aliments comme additifs alimentaires. Ils peuvent également être utilisés comme conservateur dans les produits du tabac, dans certains produits ménagers (lessives) et entrent dans la formulation de vernis, colles, adhésifs, cirages.

Les alkylphénols sont utilisés dans la fabrication d'adhésifs, de peintures, d'émulsions de cires de parquets, de nettoyants ménagers, dans l'industrie du cuir, dans les composés de polissage, les joints de feutre dans l'automobile, dans les matériaux de construction, dans les pâtes et papiers, dans l'industrie des textiles, dans les plâtres chirurgicaux, dans l'industrie du bois ainsi que comme agents conservateurs dans l'amidon de blanchisserie. Ce sont également des principes actifs entrant dans la formulation de désinfectants industriels ou ménagers (sprays, lingettes) et pour le secteur médical.

2/ Quels risques présentent-ils et comment sont-ils réglementés ?

Certains ont ou sont suspectés d'avoir notamment des effets de perturbation endocrinienne. Des études réalisées chez l'animal, et en particulier sur des rongeurs, ont en effet rapporté des effets sur l'appareil reproducteur mâle et femelle, sur la production et la qualité des spermatozoïdes et quelquefois sur la fertilité et le développement de cancers hormono-dépendants. Cependant, les études épidémiologiques disponibles à ce jour sont encore trop peu nombreuses pour permettre de conclure quant à l'impact de ces composés chez l'homme.
En outre, il faut souligner que ces trois familles de composés regroupent un très grand nombre de substances présentant des niveaux de dangers très variables et dont les usages sont excessivement nombreux. Au regard de cette diversité, les niveaux d'exposition à ces substances et les risques qu'elles peuvent présenter sont très contrastés.

D'un point de vue réglementaire, plusieurs de ces substances sont encadrées par le règlement REACh(1)et par le règlement CLP(2) ainsi que par différents textes spécifiques selon leurs usages (directive jouet, réglementation relative aux matériaux au contact des denrées, réglementation relative aux additifs alimentaires et aux cosmétiques, aux dispositifs médicaux, …).

Ainsi neuf phtalates sont classés reprotoxiques 1B au titre du règlement CLP et un dixième fait actuellement l'objet d'une procédure pour obtenir la même classification. Les six phtalates les plus préoccupants (DEHP, DBP, BBP, DINP, DODP et DIDP) font d'ores et déjà l'objet d'une procédure européenne de restriction qui interdit leur usage dans les jouets et les articles de puériculture, ces restrictions vont être remises à jour avant l'été. Les trois premiers (DEHP, DBP, BBP) vont, en outre, voir à partir de 2015, leur usage (toutes utilisations confondues) interdit sauf autorisation spécifique délivrée au cas par cas par la Commission Européenne. Les autres font l'objet d'une évaluation visant à les identifier comme substances très préoccupantes et les ajouter à la liste des substances soumises à une autorisation provisoire et restrictive dans l'attente de produits de substitution.

Deux alkylphénols font également l'objet d'une procédure de restriction et ne peuvent plus être utilisés ni mis sur le marché en tant que substance ou constituant de préparation à des concentrations égales ou supérieures à 0.1% en masse pour les applications de nettoyage, les traitements des tees et du cuir(3), comme émulsifiant dans les produits agricoles de traitement par immersion des trayons, pour l'usinage des métaux(4), pour la fabrication de pâte à papier et de papier, dans les produits cosmétiques et autres produits d'hygiène corporelle, sauf spermicides, ou, enfin, en tant que coformulants dans les pesticides et biocides.

3/ Des alternatives à ces substances existent-elles ?

Ces trois familles de composés sont très diverses que ce soit en termes de substances, des niveaux de danger qu'elles peuvent présenter et d'usages. Pour beaucoup d'entre elles, les données sur les substituts existants ne sont pas disponibles à ce stade. Dans ce contexte, il est important de rapeller que les substituts pouvant être utilisés dans l'urgence peuvent se révéler aussi dangereux, voire plus que l'original. Aussi, parmi ces trois familles, il est important d'identifier les substances les plus préoccupantes, leurs usages et les produits de substitutions existants ainsi que les risques que ces derniers peuvent présenter afin de pouvoir les substituer en toute sécurité.

4/ Que fait l'Anses vis à vis de ces substances ?

Outre les activités européennes sur ces familles de substances dans le cadre des règlements REACh et CLP, l'Anses est chargée de fournir aux autorités compétentes l'expertise et l'appui scientifique et technique nécessaires à l'évaluation des substances chimiques et des risques qu'elles présentent pour l'homme.

Sur la question spécifique du bisphénol A, une autre substance suspectée d'avoir des effets de perturbateur endocrinien, l'Agence a rendu 5 expertises dont 3 avis en 2010 et a, dans ce cadre, émis une série de recommandations visant à :

  • réduire l'exposition de la population, notamment des populations les plus sensibles ;
  • améliorer l'information du consommateur via la mise en place d'un étiquetage systématique des ustensiles et récipients ménagers contenant du bisphénol A et pouvant être en contact avec les aliments afin d'éviter leur chauffage excessif lors de l'utilisation ;
  • à mobiliser les industriels pour mettre au point des substituts au bisphénol A pour les usages alimentaires.

Enfin, dans un cadre plus global, le ministère chargé de la santé a saisi en 2009, l'Afssaps, l'Afssa(5), l'Afsset(5), l'InVS, l'INPES afin qu'ils se penchent, dans leur champ de compétences respectifs, sur la question des perturbateurs endocriniens. L'Inserm, pour sa part, a notamment été chargé de réaliser une expertise collective sur les effets de substances dites « perturbateurs endocriniens » en rassemblant et en analysant l'ensemble de la littérature scientifique disponible. Sur la base des substances identifiées comme préoccupantes pour leur toxicité sur la reproduction et/ou leur action de perturbateurs endocriniens, l'Agence travaille sur cinquante substances, dont une vingtaine sont des phtalates, des parabènes et des alkylphénols. Il s'agit pour chacune d'entre elles d'en décrire les dangers, d'en identifier les usages, d'évaluer l'exposition de la population afin d'en évaluer les risques. L'un des objectifs de ce travail est, in fine, d'identifier les substitutions possibles pour les produits ou substances pour lesquels un risque sanitaire aurait été mis en évidence en s'assurant que les candidats à la substitution identifiés aient pu faire l'objet d'une évaluation des risques préalable à leur autorisation.
Ce travail d'ensemble s'inscrira sur plusieurs années et donnera lieu à une série de rapports d'évaluation de risque, chacun spécifique d'une substance. Le premier rapport sera rendu en 2011 et portera spécifiquement sur le bisphénol A, à partir de 2012 ceux traitant des autres substances seront rendus.


(1) Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission.
REACH : acronyme de "Registration, Evaluation and Authorisation of CHemicals".
(2) Règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006. CLP : acronyme de « Classification, Labelling, Packaging ».
(3) Sauf traitement sans rejet dans les eaux usées, et systèmes comportant un traitement spécial dans lequel l'eau utilisée est prétraitée afin de supprimer totalement la fraction organique avant le traitement biologique des eaux usées (dégraissage de peaux de mouton).
(4) sauf: utilisation dans le cadre de systèmes fermés et contrôlés dans lesquels le liquide de nettoyage est recyclé ou incinéré.
(5)L'Afssa et l'Afsset ont fusionné le premier juillet 2010, donnant naissance à l'Anses.